Sublime

Valéry n’est pas seulement un grand écrivain ; il est l’auteur d’une œuvre intellectuelle de premier ordre dont on n’a sans doute pas encore pris la mesure. Il a voulu se forger une méthode davantage qu’un système, creuser ses propres interrogations, loin de celles de la plupart des philosophes : « Je n’ai jamais compris leurs problèmes en ce sens

Le philosophe Alain consacre au recueil un livre complet de commentaires. Plus surprenant, Rainer Maria Rilke, sans doute le plus grand poète de langue allemande du XXe siècle, est bouleversé lorsqu’il découvre Valéry. Il l’écrit à Gide en 1921 : « Quelle joie sublime de découvrir une œuvre tout érigée, comme une ville qu’on n’a pas vu construire,

Les philosophies valent ce que valent les philosophes. Plus l’homme est grand, plus la philosophie est vraie.

S’il n’écrit presque plus de vers, Valéry reste un fidèle des Mardis de Mallarmé.

Cette singulière vanité de l’homme qui laisse et veut croire que c’est à une vérité qu’il aspire quand c’est un amour qu’il demande à ce monde.

Valéry marque d’emblée sa préférence pour les plaquettes luxueuses destinées aux bibliophiles. Il sait que ses œuvres sont trop difficiles pour séduire un large public. Selon un modèle plus courant dans l’univers des arts plastiques que dans celui de la littérature, Valéry préfère vendre des objets coûteux à un petit nombre d’exemplaires.

Valéry ne ment pas, même s’il emploie le mot « hasards » de manière un peu abusive. Toute sa carrière officielle s’est faite en douceur, sans coups d’éclat ni coups tordus. Jamais il n’a eu le sentiment de manœuvrer ou d’intriguer. Il a eu le talent de laisser les autres agir à sa place, comme s’il n’était que le spectateur de sa propre réussite.

À l’arrivée de chaque individu dans cette vie, ne pouvons-nous supposer que quelque part une telle barre jusque-là immergée s’est élevée à l’air libre ? Certes, nous sommes de si piètres navigateurs que l’essentiel de nos pensées tergiversent au large d’une côte dépourvue de ports, ne connaissent que les courbes générales des golfes de la poésie,