Vagabondages (L'indéfinie) (French Edition)

Je relevai les adresses, et leur dis de mon côté ce que je savais de la région que j’avais parcourue en mendiant. C’est ce jour-là que j’appris à connaître le magnifique esprit de corps des vagabonds. Cette solidarité des gueux n’est pas une légende. Par la suite, je pris moi aussi des notes, et j’échangeai mes adresses avec ceux que je rencontrais

Parfois je réfléchissais à ces choses, j’avais en horreur les personnages qui m’entouraient, et j’étais pris d’horreur pour moi-même à qui ces choses plaisaient de plus en plus.

« Je me suis souvent demandé pourquoi au juste je vivais, geignit-il. C’est une connerie que de courir après ces images, une connerie tous mes griffonnages, une connerie le monde entier. Je me fais l’effet d’un animal sale et laid, et j’aimerais mieux que même toi tu ne me regardes pas. Je vais porter pendant des années cette malédiction.

Quand il en était question entre nous, nous nous mettions à parler tous les deux sans rire de Paris. Et nous n’éprouvions aucune gêne à nous confier l’un à l’autre que ce qui nous attendait dans la vie, ce n’était pas le travail abrutissant, nous le sentions, mais l’accomplissement de quelque mission plus particulière. Nous parcourions les grand-ro

Le manque d’occupation sérieuse nous rendait nerveux, nous ne séjournions guère dans les villes, les villages et les hameaux, nous passions des journées entières sur la route.

Imagine-toi quelles galettes de pommes de terre on peut s’acheter avec cet argent. Et d’ailleurs, si ce n’était pas nous, ce seraient les Juifs polonais qui l’auraient pris. Dans la société capitaliste, il ne faut pas avoir de scrupules moraux. Stirner et Nietzsche ont raison quand ils parlent des droits absolus de l’individu. Quelle contrainte m’e

C’était la première fois que nous marchions pieds nus. C’était comme si nous les avions posés sur une plaque chauffée à blanc. Les premières minutes, la poussière nous brûla les pieds, mais ensuite nous nous y habituâmes, et ce fut une sensation agréable. Nous marchions, marchions, et, quand l’envie nous en prenait, nous criions dans le vent léger.

Il était bien difficile, décidément, de vivre avec lui. Quand il tombait dans ces accès de tristesse impuissante, ses cheveux embroussaillés perdaient leur graisse, tournaient au roux, et ses yeux louchaient effroyablement. On voyait à ces moments-là que des démons l’habitaient, des gamins des rues inhumains et de vieilles femmes malfaisantes.

Sans m’en rendre compte, je m’étais enrichi l’âme, mais cet enrichissement n’était pas encore mûr pour le monde, je ne me connaissais pas encore assez moi-même, et j’étais encore incapable d’exprimer ce que j’aurais eu à exprimer. Ce que je récoltais en moi, cela s’y entassait en couches, et il fallait seulement une occasion pour me délier la langu