Tout cela n’enlève rien au plaisir que peut procurer la lecture nonchalante voire le simple feuilletage des Cahiers. Comme l’a dit Jean-Louis Schefer, Valéry a eu « la constance, la patience et l’humilité d’être tous les jours, tous les matins, dès la première tasse de café, un adolescent qui avait su préserver l’imprévisibilité d’une œuvre,

Si la pensée de Valéry n’a guère été discutée en tant que telle, ce n’est pas seulement pour des raisons accidentelles. Esprit fondamentalement solitaire, curieux de tout mais d’abord de lui-même, Valéry n’a voulu regarder le monde qu’à travers son propre prisme. Pour l’essentiel, il a donc développé ses recherches sans prendre en compte ce qui

Je ne sais si jamais quelqu’un saura reconstituer cette vie mentale entretenue si semblable à elle-même – non d’après mes publications, mais d’après tous ces cahiers de reprises incessantes sans limites et sans but-œuvre. Ce fut une manière de vivre – ou plutôt de ne pas vivre – ou plutôt de traiter la vie le plus sérieusement possible,

Quant à la masse immense des Cahiers, Valéry a rêvé toute sa vie de l’organiser, sans trouver de solution qui le satisfasse. Malgré ses efforts, il n’a pas réussi à inventer une forme aussi personnelle et efficace, digressive et cohérente, que celle des Essais de Montaigne9. Il ne lui restait qu’à s’en remettre à la postérité, tout en sachant

À l’interminable chantier du Passagenwerk (Paris‚ capitale du XIXe siècle) répond ce grand édifice sur lequel devaient déboucher les Cahiers et dont ne nous connaissons que les ruines.

Valéry n’est pas seulement un grand écrivain ; il est l’auteur d’une œuvre intellectuelle de premier ordre dont on n’a sans doute pas encore pris la mesure. Il a voulu se forger une méthode davantage qu’un système, creuser ses propres interrogations, loin de celles de la plupart des philosophes : « Je n’ai jamais compris leurs problèmes en ce sens

celui qui aurait pu naître des Cahiers, c’est pour réaliser jusqu’au bout son véritable rêve, celui qu’il avait exposé à Mallarmé un soir de 1896, « d’un être qui eût les plus grands dons – pour n’en rien faire, s’étant assuré de les avoir ».

Le 24 avril, dans une très longue lettre, il analyse aussi lucidement que possible les espoirs immenses qu’il avait placés en elle, et la terrible déception qui est la sienne. Jeanne était à ses yeux « une promesse, une virtualité, un vivant chef-d’œuvre “en puissance” ». Mais son goût du luxe et des mondanités ainsi que le temps énorme consacré

Tu sais mon jugement sur l’entreprise appelée Vie… il n’y a que 2 choses. Deux. Les deux seules qui nous transforment en êtres capables et dignes de surmonter tout ce qui nous réduit à n’être que des semblables de nos semblables. (…) Amour et Œuvre ? Mais leur donner un sens extrême et neuf, – et combiné. L’Amour devenant Œuvre. Rien que cette