Le Monde d'hier: Souvenirs d'un Européen (French Edition)

Si j’étais d’accord ? Je ne pus dormir tant j’étais heureux. Mais chez Rodin, je demeurai court. Je fus même incapable de lui adresser la parole, figé parmi les statues comme si j’étais l’une d’elles. Curieusement, mon embarras semblait lui plaire, car en prenant congé le vieil homme me demanda si je ne voulais pas voir son véritable atelier à Meud

à côté de l’élargissement de mon horizon du domaine de la littérature à celui de l’histoire contemporaine, c’est à Rathenau que je dois aussi la première incitation à sortir de l’Europe. « Vous ne pouvez pas comprendre l’Angleterre tant que vous ne connaissez que l’île », me dit-il un jour. « Et pas davantage notre continent, tant que vous n’avez p

Partout, le sang montait à la tête congestionnée des États. Partout, la fructueuse volonté de consolidation intérieure se mit à développer en même temps, comme une infection bacillaire, une frénésie d’expansion.

Quand je cherche un symbole de la notion de courage moral — le seul héroïsme au monde qui ne fait pas de victime —, je vois toujours le beau visage de Freud, sa clarté virile, ses yeux foncés qui vous regardent droit et tranquillement.

Mais rien n’était plus merveilleux que d’aller se promener dans Paris avec Rilke, car cela revenait à donner de l’importance au plus anodin comme si l’œil lui-même était éclairé. Il relevait le plus petit détail, prenant même plaisir à prononcer à haute voix les noms qui figuraient sur les enseignes publicitaires, quand leurs sonorités lui semblaie

Pour finir, je lui envoyai un livre de moi pour établir un lien avec lui. Une lettre arriva bientôt, qui m’invitait à lui rendre visite, et c’est ainsi que commença une amitié qui, à côté de celle de Freud et de Verhaeren, devint la plus fructueuse et même, en bien des heures, la plus décisive dans l’orientation de ma vie.

je tiens à être un témoin honnête, je dois reconnaître le fait à première vue paradoxal que je n’ai absolument rien vu par moi-même de cette révolution. Quiconque entreprend de peindre un tableau aussi honnête et concret que possible de son époque doit avoir également le courage de décevoir les images romantiques.

Ils ont saccagé trois fois ma maison et mon existence, m’ont détaché de tout jadis et de tout passé, et leur véhémence dramatique m’a précipité dans le vide, dans ce « nulle part où aller » qui m’était déjà familier. Mais je ne m’en plains pas ; celui qui n’a pas de patrie acquiert justement une autre liberté, celui qui n’est plus lié à qui ou quoi

Mais quelle tragédie par la suite quand une de ces jeunes filles avait passé l’âge et n’était toujours pas mariée à vingt-cinq ans, à trente ans ! Impitoyable, la convention exigeait en effet que même la jeune fille de trente ans conservât sans faiblir une candeur, une abstinence et une naïveté, qui n’étaient plus depuis longtemps de son âge — au n