Dieu sait que faire grandir ses gamins dans un lieu où rien n’est prévu pour vous et où les codes vous sont étrangers, c’est un exploit, c’est miraculeux, on devrait donner une médaille à Yamina pour ça, lui déposer une couronne sur la tête.

Quand il ne reste pas grand-chose d’autre, l’honneur a de l’importance.

Yamina a bien mérité ces vacances, et aussi cette baignade qui lui a offert un joli moment d’enfance, car elle n’a jamais eu réellement d’enfance, mais surtout, elle a bien mérité tout l’amour qu’on lui rend, elle en a tellement donné et en a encore tant à offrir. On dirait que Yamina a enfin fait le deuil de ce retour impossible. Son chez elle,

Ils avaient peur de tout perdre, de se compromettre. Ils tenaient à rester qui ils sont. Ils n’ont pas voulu y renoncer. Ils ont refusé d’être effacés, ENCORE UNE FOIS. Comment ne pas craindre l’effacement ? C’est ce que ce pays savait faire de mieux, il avait déjà tenté de les effacer, eux, et maintenant il s’en prenait à leurs gosses.

Yamina ne comprend pas pourquoi Brahim s’entête à vouloir endurcir Omar. À ses yeux, faire profiter ses enfants d’une vie agréable et facile les récompense de la pénibilité de leur propre vie, sinon à quoi bon avoir traversé tout ça ? Est-ce qu’il faut qu’Omar descende à la mine et se retrouve la figure pleine de charbon pour prouver à son père

Antoine y a repensé un peu le soir, au moment de se coucher, il s’est rappelé le regard de cette femme, ses yeux cernés, et a eu honte de son geste. Évidemment, il a gardé son remords pour lui. Il n’y a rien de plus personnel qu’un regret.

Brahim est d’une génération qui ne remarque même pas que les hommes ont le privilège de ne mourir qu’une fois. Les femmes, elles, sont tuées par leur propre monde, et ce, des milliers de fois. Elles ne cessent de ressusciter, matin après matin.

Rahma tenait dans ses bras sa dernière-née, qu’elle avait appelée Djamila en hommage à Djamila Bouhired, héroïne de la résistance algérienne, une femme qui serait un modèle éternel pour Yamina, une figure de courage et de dignité. Entrée en résistance à l’âge de dix-neuf ans, Djamila a été la grande sœur libre dont rêvait Yamina.

il y a des choses qui ne sont pas faites pour nous. Ce sont des choses faites pour les autres, ceux qui ont déjà tout. Ceux qui ont toujours eu ces choses. Sans avoir à les demander. Sans même les avoir désirées. Ces choses étaient là, pour eux, depuis le commencement. Et ils continuent simplement de suivre un vieux mouvement bien ordonné. Il