On lui serrait la main, on le remerciait, on le trouvait définitivement sympa. Perdu dans cette foule, inconnu parmi les inconnus, il pouvait se réinventer, devenir tout ce qu’il voulait. Les différentes peaux qu’il revêtait lui procuraient le plaisir superbe d’échapper à lui-même.

Oui. Quelque chose doit frustrer les personnages de Stendhal, parce qu’ils rêvent tous de gloire. Ça devait être l’époque. Mais ils naissent trop tôt ou tard pour la conquérir sur les champs de bataille. Alors, à défaut de participer à une véritable guerre, l’amour devient leur champ d’honneur.

On va lui rendre visite dans une semaine normalement. » On, pensa Émile. Ce n’est plus elle mais On. À une personne près ça aurait pu être Nous. « Et tu vis toujours ici ? — Non, je suis en vacances dans la maison de ma mère. Je vis à New York maintenant. — Ah bon ? New York, vraiment ? Je ne savais pas…, mentit-il. — Si tu ne m’avais pas effacée

Il traîna des pieds jusqu’aux rochers, et s’assit face au bouillon noir. Par désœuvrement, il se mit à réfléchir : « Quelle est ma place ? Je ne suis ni le conjoint, ni l’amant, ni vraiment l’ami, ni le pote d’un pote, ni même celui qui veut séduire ; je ne veux pas la séduire ! Je n’ai pas de place définie. Je ne suis pas. Dans son champ de

Mais révolte contre qui, contre quoi ? Il aurait été incapable de l’exprimer ; il s’agissait d’un pressentiment lourd. Pour exister, il lui fallait trouver un ennemi et l’affronter.

Évidemment, Émile mourait d’envie d’en savoir plus. Avec qui était-elle partie ? Mais il choisit l’orgueil plutôt que la paix, et se tint coi.

Émile eut des pensées de Parisien. Tout quitter pour retrouver la nature, fuguer à la recherche des vertiges de sa propre vie en mettant de côté ceux offerts par la naissance. S’installer dans le maquis, contempler la mer, la montagne, le ciel. Et pourquoi pas ? Il s’ennuierait peut-être. Rester seul ici cet été lui paraissait être un bon test. De

Une brise tiède souffla sur les bords de mer ce soir-là. Un sourire de démon enchanté tachait le visage d’Émile. Il venait en vingt-quatre heures de perdre une femme qui l’aimait, mais qu’il n’aimait pas, et une femme qu’il aimait, mais qui ne l’aimait pas. Une affaire de chassé-croisé sans doute.

Non, il ne pouvait pas, non, non, il ne supporterait pas l’échec, le désaveu, bien entendu qu’elle le repousserait ! Cette trouille de la défaite l’obsédait. En rédigeant sa thèse deux ans plus tôt, il avait réalisé que, bien plus que le non-amour de l’autre, c’est surtout la perspective de l’échec qui terrorisait le héros stendhalien. Ne pas être