La Citadelle (French Edition)

Je ne sais pas comment tu fais… Quand je vais chez Tao, c’est hors saison. Je bois un ou deux verres avec des amis, on écoute un peu la musique et on rentre. Quel intérêt d’engloutir de telles quantités ? — On se défoule. On n’en a pas souvent l’occasion… — Vous vous défoulez de quoi au juste ? » Émile réfléchit un instant, puis avoua : « Je n’en s

Si la vie pouvait n’être qu’imagination, Émile serait devenu depuis longtemps le plus heureux des hommes.

Tout ne paraissait que lutte et pourtant, près d’elle, il se sentait si bien. Un extrait du Rouge et le Noir relevé au début de son séjour remonta à sa mémoire : « Ses regards, le lendemain, quand il revit madame de Rênal, étaient singuliers ; il l’observait comme un ennemi avec lequel il va falloir se battre. »

Parce qu’il éprouvait le besoin de tout retenir, de tout capturer, il nota sur son carnet quelques mots sans rapport les uns avec les autres. Si seulement il avait su dessiner pour reproduire ou jouer de la musique pour exprimer, tout aurait été plus simple. Mais il ne savait qu’écrire.

À mesure qu’il vidait son verre, il désira chaque corps avec plus de violence. Non par appétit sexuel, mais pour celui de la tendresse. Là, maintenant, il souhaitait caresser une peau, se laisser embrasser, il en crevait. « Une façon d’un peu se respirer le cœur », murmura-t-il. Tenir un corps contre lui. Partager ce moment, profiter du paysage.

Où qu’il soit, la présence d’un livre avait toujours le don de le rassurer. De la même manière, un lecteur ou une lectrice lui inspirait confiance. Cet acte de foi ne s’appuyait sur rien d’autre qu’une certitude aussi idiote que dangereuse, autrement dit une peur.

le jeune professeur médita la citation de son ami : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. » Et pourquoi ça ? La solitude représentait la paix. De fait, Émile se disputait bien plus souvent avec les autres qu’avec lui-même. Le reste n’était que norme sociale ; bien sûr elles pouvaient paraître contraignantes. Les tables de restaurant, par exempl

Un couple. Jamais encore il n’avait goûté au partage de l’être en deux, du moins pas assez longtemps pour le comprendre. Son ego ne parvenait pas à se morceler dans la fusion de l’autre. Ce pronom « nous » si diffus, si abstrait pour lui, flottait chaque fois derrière l’extase de son indépendance. Combien de fois s’était-il réveillé auprès d’une au

Qu’avait-il accepté de lui depuis tout ce temps ? Il aurait pu écrire mille mots sur Andréa, son visage, ses pensées, sa manière de bouger, de parler. Mais sur lui-même ? Le mystère lui paraissait aussi épais que du sang. Il butait contre lui-même : comment faire de son reflet sa propre identité, s’appartenir entièrement, corps et âme ?