Peut-on penser hors du langage ?

Je venais d’avoir 18 ans quand cette question, une première fois, m’a fait chauffer les neurones. Et j’avoue qu’elle continue parfois à me hanter. 🤓

C’est un drôle de paradoxe.

Chaque pensée semble bien s’incarner dans un mot, inséparable du langage qui lui donne forme.

Essayez donc de penser à une idée sans utiliser le mot qui la désigne. Difficile, non ?

Et pourtant, on a l’intuition qu’il existe quelque chose au-delà des mots.

Un ressenti brut, une expérience immédiate. On peut être triste sans penser sa tristesse, sans même la nommer. Mais dans ce cas... est-ce encore une pensée ? Ou bien une simple sensation ?

Si cette question est si complexe, c’est que langage et pensées sont intriqués bien plus profondément qu’on ne l’imagine.

Changer les mots, c’est souvent changer la manière dont on pense.

Prenez la novlangue de George Orwell dans 1984 : “La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force.” Les mots ne sont plus seulement des véhicules d’idées, ils deviennent des outils de contrôle des esprits.

Pas besoin d’aller chercher bien loin dans la science-fiction me direz-vous pour trouver des exemples. Aujourd’hui encore, sur la scène internationale, la bataille des mots précède celle des idées.

L’agressé devient un dictateur illégitime qui s’accroche au pouvoir , tandis que l’agresseur devient un défenseur de son territoire .

La science devient une opinion dont on peut se passer.

Les médias se transforment en fake news.

Bref, les mots sculptent la réalité autant qu’ils la décrivent.

La bonne nouvelle, c’est que l’on peut utiliser cette fonction de reprogrammation du langage dans un sens positif, comme un outil d’émancipation et d’ouverture d’esprit.

Car le langage n’est pas figé. Il n’existe pas une seule manière de structurer la pensée.

Nos langues occidentales nous conditionnent à voir le monde sous une forme binaire : masculin/féminin, jour/nuit, ombre/lumière. Deux pôles qui s’affrontent, une vision du monde segmentée, opposée, clivée.

Changer de cadre linguistique pourrait nous permettre de penser autrement.

D’autres cultures proposent une lecture différente.

La philosophie chinoise, par exemple, ne conçoit pas l’opposition comme une fracture, mais comme un tout en perpétuel mouvement.

C’est ce qui se cache derrière le fameux concept de Yin-Yang dont on entend beaucoup parler, mais souvent de manière confuse.

En réalité, Yin-Yang est un seul mot qui ne désigne pas une dualité figée, mais ce que Cyrille Javary, sinologue français et expert de la culture chinoise appelle l’ unité changeante.

« Yin-Yang » est le nom donné en chinois au fonctionnement de tout le vivant. Cette unité changeante, ce mouvement incessant, cette danse de tout l’univers se dit en un seul mot.

Or, en français comme dans toutes les langues occidentales, « Yin » et « Yang » sont deux mots. Voilà où commence le quiproquo.

Cyrille Javary

La plupart des réflexions de cet article vont s’appuyer sur ses idées, en particulier son livre Yin-yang : la dynamique du monde dont je ne peux que vous conseiller la lecture !

Alors, que peut-on apprendre de cette vision et comment peut-elle être un outil pour penser au quotidien ?

Voilà le chemin que je vous propose d’explorer aujourd’hui !

Let’s dig in! 🫡

Kevin

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Mieux comprendre et appliquer la philosophie du Yin-Yang au quotidien

La danse du Yin-Yang

Qu’est-ce que le Yin ? Ce qui va devenir Yang.

Qu’est-ce que le Yang ? Ce qui va devenir Yin.

Cette phrase, attribuée à un danseur chinois du IIIe siècle, est, selon Cyrille Javary, l’une des meilleures définitions jamais donnée du Yin-Yang.

Elle nous donne un premier indice sur la nature même du concept : c’est un mouvement, une danse.

Contrairement à ce que l’Occident a souvent figé en une opposition stérile, le Yin-Yang ne désigne pas deux forces en conflit, mais un équilibre instable en perpétuelle transformation.

L’idéogramme chinois du mot Yin-Yang représente une montagne : un versant ensoleillé, un versant à l’ombre. Mais ces deux faces ne s’opposent pas, elles coexistent, s’échangent et se transforment.

La pluie succède au beau temps, l’ombre précède la lumière. Et c’est ce cycle qui permet la culture des céréales... et des idées !

Tout est affaire de rythme.

Prenons les saisons : en Occident, le printemps est célébré lorsqu’il éclate aux yeux de tous, au moment où les bourgeons s’ouvrent et où la lumière reprend ses droits (c’est-à-dire fin mars).

Mais en Chine, il commence bien avant. Dès le solstice d’hiver, lorsque la nuit est à son apogée, le printemps est déjà là, en germe, invisible sous la terre.

Le printemps chinois commence en réalité le 3 février (fête du Lì Chūn), lorsque les insectes et animaux sortent de leur hibernation, et la végétation commence à pousser.

De la même manière, l’hiver ne s’installe pas brutalement en décembre : il commence dès le solstice d’été, lorsque les jours amorcent imperceptiblement leur déclin.

Dans cette vision du monde, rien ne naît d’un coup, rien ne disparaît totalement. Tout est transition, passage, continuité.

Ce que ça m’inspire en termes de philosophie pratique au quotidien

1. Apprendre à épouser ses saisons intérieures

Notre énergie fluctue, nos ambitions connaissent des sommets et des creux, nos certitudes vacillent.

Il y a des jours où tout semble évident, où l’on avance avec aisance. Et d’autres où l’on stagne, où le doute s’infiltre, où l’épuisement intellectuel nous cloue sur place.

Le Yin-Yang nous enseigne que ces cycles sont naturels, qu’il ne sert à rien de les combattre.

En tant qu’entrepreneur, souvent plongé dans la solitude du travail, j’ai appris à reconnaître ces phases.

Certaines journées, l’énergie est au plus bas, et le pire ennemi dans ces moments-là, c’est le jugement que l’on porte sur soi-même.

L’une des règles que j’essaie de garder en tête, c’est que la progression ne suit jamais une ligne droite. Comme dans le Yin-Yang, il y a des phases d’élan et des phases de repli.

Il faut savoir se reposer quand c’est nécessaire, marcher quand l’énergie est moyenne, et sprinter quand elle déborde.

Cette édition, a plutôt été faite en vitesse de marche, je le confesse. Mais bon, je suis arrivé au bout ! 🫶

2. Qu’est-ce que l’apogée ? Le début du déclin. Qu’est-ce que le déclin ? Le début de l’apogée.

L’été porte en lui les prémices de l’hiver, et l’hiver contient déjà l’été en germe.

Autrement dit, c’est dans les moments les plus difficiles que se prépare déjà le renouveau, tout comme dans les périodes d’expansion, le déclin commence à poindre.

Vous vous souvenez de l’histoire du vieux fermier chinois dont je vous avez parlé dans la deuxième édition du Bateleur ? Elle mérite une relecture ici. (Je remets le lien vers l’édition à la fin du paragraphe pour les plus nostalgiques).

Un jour, un paysan chinois perdit un cheval. Il s'était enfui. Tous les voisins vinrent le voir le soir et dirent : "Quel dommage !". Il répondit : "Peut-être".

Le lendemain, le cheval revint et ramena sept chevaux sauvages avec lui. Tous les voisins vinrent le voir et lui dirent : "C'est génial, n'est-ce pas ?". Il répondit : "Peut-être".

Le jour suivant, son fils, qui essayait de dresser un de ces chevaux, fut renversé et se cassa la jambe. Tous les voisins vinrent le soir et dirent : "Quel dommage, n'est-ce pas ?". Et le fermier répondit : "Peut-être".

Le lendemain, l'armée se présenta cherchant des recrues et ils n'emportèrent pas son fils parce qu'il avait une jambe cassée. Tous les voisins vinrent le soir et dirent : "N'est-ce pas merveilleux ?!". Il répondit : "Peut-être".

Eastern Wisdom, Modern Life - Alan Watts (Collected Talks: 1960-1969)

Ce que je retiens : ne nous attachons pas trop fermement à ce qui prend les habits d’un succès ou d’un échec.

La nature d’un événement est complexe et changeante, puisque ses conséquences et répercussions sont difficilement mesurables et toujours entremêlées.

Pourquoi il ne faut présumer de rien, Apprendre à apprécier ses réussites, et d'autres choses...

Kevin Pujol

·

October 20, 2023

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3. mono no aware comme épitaphe

Les Japonais ont un mot pour désigner cette sensation face à l’éphémère : mono no aware . Difficilement traduisible en français, le concept exprime la douce mélancolie qui naît de la prise de conscience que tout est destiné à disparaître.

Prenez la fête du Sakura (les cerisiers en fleurs) au Japon. Ce n’est pas juste leur éclat qui touche, mais le fait qu’ils ne durent que quelques jours avant de tomber. Leur beauté est indissociable de leur fragilité.

Je trouve que cette vision japonaise complète magnifiquement le Yin-Yang.

Elle nous rappelle que chaque instant de joie contient déjà son déclin futur, chaque douleur porte la promesse d’une libération prochaine.

Accepter joyeusement le mouvement tout en embrassant la fragilité de ce qui est.

4. Le changement est la seule constante

Héraclite disait : “On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.”

Parce que le fleuve coule, et nous avec.

Là où l’Occident a souvent opposé l’être et le devenir, la pensée orientale, elle, embrasse le changement comme une réalité incontournable.

Rien n’est fixe, rien n’est figé.

Mais alors, faut-il se résigner à ce perpétuel mouvement dans une sorte de fatalisme ?

Si tout change tout le temps, rien n’a d’importance serait-on tenté de dire.

Albert Camus propose une réponse fascinante avec le mythe de Sisyphe.

Condamné à pousser son rocher sans fin, Sisyphe pourrait être écrasé par l’absurdité de son destin. Mais non. Camus écrit : “Il faut imaginer Sisyphe heureux.”

Pourquoi ? Parce qu’il accepte sa condition et la transforme en acte de révolte joyeuse. Il ne subit pas le changement, il le vit pleinement.

Finalement, le Yin-Yang ne nous dit pas seulement que tout change. Il nous enseigne comment danser avec ce changement.

Alors... dansons !

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