Chaque lettre d'Érasme est enveloppée dans une étoffe de brocart par son destinataire et montrée telle une relique aux amis remplis de respect ; une recommandation d'Érasme est un Sésame qui ouvre toutes les portes ; jamais un homme, ni Gœthe ni même Voltaire, n'a détenu une aussi grande puissance grâce à son seul savoir.

Depuis longtemps Érasme n'a plus besoin d'accompagner personne en voyage, puisque tout le monde vient le voir : par sa présence Bâle est devenue la capitale, le centre intellectuel du monde. Il n'est pas de prince, de savant, d'homme soucieux de sa réputation qui, de passage en cette ville, manquerait de venir lui faire sa cour ; car avoir parlé à

Mais ni menaces ni malédictions ne peuvent amener Érasme à adhérer à l'un ou l'autre parti : nulli concedo, je ne veux appartenir à personne, telle fut sa devise et jamais il ne la démentit ; il voulait être homo pro se, homme pour soi-même, quelles qu'en fussent les conséquences.

La vérité selon lui est toujours nuancée, a toujours plusieurs significations, de même que le droit ; c'est pourquoi « jamais un prince ne doit être plus circonspect que lorsqu'il est sur le point de se mettre en guerre, et il ne faut pas qu'il se prévale de son bon droit, car quel est celui qui ne regarde pas sa cause comme la bonne ? » Le droit a

C'est entre sa quarantième et sa cinquantième année qu'Érasme de Rotterdam atteint le zénith de sa gloire : depuis des siècles l'Europe n'a pas connu de nom plus illustre. Ni celui de Dürer, ni celui de Raphaël, de Léonard de Vinci, de Paracelse, de Michel-Ange, ou de n'importe quel autre de ses contemporains n'est prononcé à cette époque avec auta

Des générations entières de diplomates ont acquis leur froid talent en lisant le livre d'arithmétique politique du cruel et perspicace Florentin ; les frontières qui séparent les nations ont été vingt fois tracées et retracées par le fer et par le sang. C'est l'esprit de discorde et non celui de concorde qui a fourni chez tous les peuples les énerg

Érasme n'a pas été d'emblée le grand écrivain que nous connaissons. Un homme de cette sorte a besoin de vieillir pour pouvoir exercer son influence sur le monde. Un Pascal, un Spinoza, un Nietzsche peuvent mourir jeunes, leur génie synthétique se complaît dans les formes étroites et limitées de la pensée. Au contraire, le génie analytique et critiq

il ne néglige la politesse, jamais il ne s'abandonne à la haine « meurtrière » d'un Luther à l'égard de l'ennemi. Érasme n'est pas fait pour se battre ; d'ailleurs ses convictions ne sont pas assez arrêtées pour qu'il puisse les défendre avec passion ; la certitude n'est pas le fait des natures objectives. Elles doutent facilement de leur propre op

Ce qu'Érasme transmettait à la postérité, au milieu du désarroi de la guerre et des dissensions européennes, n'était que l'antique rêve, renouvelé des religions et des mythes, d'une future et inévitable humanisation de l'humanité, du triomphe de la lumineuse et équitable raison sur la vanité égoïste des passions : tracé pratiquement, pour la premiè