Cicéron (French Edition)

Mais dans l’Histoire, une tragédie se répète à l’infini : l’homme de pensée, précisément, alourdi du poids de la responsabilité, devient rarement un homme d’action aux heures décisives. Le même conflit intérieur revient sans cesse en l’homme de pensée et de création : comme il voit mieux que les autres les folies de son temps, il éprouve le besoin

Mais en Cicéron se mêlent désormais à la fois la fatigue et la sagesse, deux sentiments qui se ressemblent souvent bien dangereusement. Il sait qu’à présent, il n’a plus besoin de rien d’autre que d’achever son œuvre, mettre de l’ordre dans sa vie et ses pensées.

Zweig s’attache à montrer à quel point le philosophe, après avoir consacré sa vie à la recherche d’une vaine gloire, adopte alors un comportement exemplaire et historique, en luttant jusqu’à la mort pour défendre les idéaux républicains.

Cicéron, sous la plume de Stefan Zweig, devient aussi le symbole de l’affrontement perpétuel, dans l’Histoire du monde, entre d’une part « la conscience » individuelle des grands personnages attachés à la liberté et, d’autre part, « la violence » exercée par les tenants du pouvoir politique

l’otium auquel, dans la nouvelle, se livre Cicéron après s’être retiré de la vie publique, est un concept fondamental dans l’Antiquité romaine. Temps de loisir personnel, consacré idéalement à la réflexion, ce terme est bien saisi par l’auteur autrichien, qui l’enrichit d’ailleurs d’un véritable plaidoyer en faveur, d’une part, de la liberté intéri

il compte bien profiter de cette inactivité, à laquelle il est dès à présent contraint, pour appliquer la superbe sentence de Scipion, qui disait de lui-même « n’avoir jamais été plus actif que lorsqu’il n’avait rien à faire, et n’avoir jamais été moins seul que lorsqu’il était seul avec lui-même28 ».

L’histoire de son temps, l’histoire du monde, Cicéron les a vécues et traversées comme personne d’autre ; il n’a manqué de temps que pour une seule chose – pourtant primordiale : pour examiner sa propre vie. Jamais cet homme infatigable, dans l’ivresse de son ambition, n’a trouvé le temps de méditer vraiment, en silence, et d’établir le bilan de so

il travaille sans cesse à son livre, avec l’intuition que cette œuvre sera le dernier message qu’il adressera au monde.

Ce n’est qu’à l’exil que la postérité doit le grand écrivain, né de l’orateur affairé d’autrefois. Au cours de ces trois années paisibles, Cicéron fait plus pour son œuvre et pour sa gloire future que dans les trente années passées qu’il a gaspillées au profit des affaires publiques (la res publica).